Le bien-être pour les nullos

Il ne vous aura peut-être pas échappé (disons que non, ça m’arrange) que la presse magazine a accouché, depuis quelques temps, d’une jolie portée de revues sur le bien-être. Flow, Happinez, Clés, Psychologie positive… notre libraire veut faire de nous des êtres sages et sereins pour 9€50 seulement. Les kiosques affichent ainsi de nombreuses couvertures aux doux reflets bucoliques. On peut y voir une jeune blonde végétarienne, la peau diaphane, allongée sur une herbe vert fluo que l’on devine grasse (l’herbe, pas la fille), un brin de paille entre des lèvres couleur framboise. Pour d’autres revues, l’image du bien-être sera celle d’un champ de tournesols à la tombée du jour, d’une prairie verdoyante, d’un majestueux voilier voguant sur une mer calme. Car pour être heureux, il faut avant tout être dehors par beau temps et l’on comprend dès lors pourquoi Lille est un vaste désert de tristesse et de désolation.

Si son prix fait paradoxalement vaciller notre sérénité, le magazine bien-être est un bel objet de qualité, épais et lourd, aux illustrations choisies. Aussi appartient-il à ces revues qui décorent admirablement une table basse ou un meuble de salle de bain. Veillez cependant à ne pas le garder trop longtemps et à réactualiser régulièrement la pile de revues que vous « laissez traîner » négligemment dans votre salon[1]. Vous épaterez à coup sûr les Mouchardin qui viennent dîner samedi.

La pensée subversive n’étant pas l’apanage de la presse écrite en générale (je ne suis pas là pour brosser les Grands de ce monde dans le sens du poil, vous l’aurez compris), le contenu de cette pluralité de magazines reste en substance à peu près le même. Je vous en propose ici un résumé qui vous fera économiser une somme d’argent et de temps non négligeables.

Comment être bienheureux ? Les tuyaux de Bonze Actuel

La première chose que nous apprend cette presse spécialisée est que, pour être heureux, il faut d’abord éteindre son téléphone. Et vous qui pensiez bêtement pouvoir vivre heureux avec un téléphone allumé ! Avec en poche cet objet chahuteur et bruyant qui ne cesse de vibrer et/ou sonner toute la sainte journée pour vous annoncer que C’EST BLACKFRIDAY CHEZ LECLERC ! Allumé, le téléphone nous envoûte, nous pousse à lire nos mails avant d’arriver au travail, nous oblige à ne pas nous perdre en voiture, nous empêche de rester dans l’ignorance des tsunamis, des morts de gens célèbres, du nom du réalisateur de Jurassic Park, de la capitale de l’Azerbaïdjan. Cet objet du démon nous fait vivre à une allure qui ne convient ni à notre corps, ni à notre psychisme tandis que l’eau met toujours autant de temps à bouillir, le train à arriver, le feu à passer au vert, mon père à dire une phrase complète. Il se murmure même que ce serait Hitler qui aurait inventé le téléphone allumé afin d’anéantir notre envie de sortir de chez nous, nos capacités attentionnelles et plus généralement, notre motivation. Non, assurément, s’il est allumé, le téléphone nous vampirise. De même que la télévision éteinte avait bonne presse dans les années 80, les années 2010 seront la décennie du téléphone éteint.

Notre société, néfaste et démoniaque, nous entraîne dans un mouvement d’une célérité étourdissante.

L’autre conseil phare des magazines bien-être est la marche. Parce que marcher c’est sain, parce que marcher c’est bon pour la santé, parce que marcher permet de lutter contre le cancer. Est-on véritablement heureux lorsqu’on souffre d’un cancer ? J’en doute. Marcher vous permettra d’éloigner cette vilaine maladie à moindres frais et d’accéder, de ce fait, au bonheur. Mais il ne s’agit pas d’aller marcher sur les grands boulevards ou sur le Vieux Port en s’exposant aux gaz d’échappement d’automobilistes tristes et malportants. La marche bien-être se fait en forêt, sur la plage, dans la garrigue ou, à la très grande limite, dans un de ces petits villages qui font la fierté de notre belle #NationFrançaise. Pour marcher dans de bonnes conditions, il faut être en vacances ou à la retraite. Troquez donc votre 4×4 BMW pour une bonne paire de baskets et, le cœur vaillant et le téléphone éteint, partez à la rencontre des joyaux que vous offre Mère Nature. Marcher a deux grandes vertus : outre ses vertus médicales, comme évoqué plus haut, la marche est une activité passablement chiante. Alors on pense. La gentille petite balade digestive du dimanche est propice à l’introspection et à la réflexion. Parce que le bonheur passe aussi par une observation franche et honnête de soi-même, sans faux-semblants, pendant une bonne marche, avec dans la poche, un téléphone bien bien éteint.

Plus généralement, nos vendeurs de bien-être le disent tous : il faut absolument RA-LEN-TIR ! Notre société, néfaste et démoniaque, nous entraîne dans un mouvement d’une célérité étourdissante. Elle nous dicte ce que nous devons penser en nous arrachant le temps qu’il nous faudrait pour réfléchir. Vivre au ralenti, au rythme de la marche, nous ouvre les voies de la sérénité et du bonheur. Et de l’ennui.

Le bien-être et la vraie vie des vrais gens

Une fois ces clés du bonheur en main, que doit-on en faire ? Tout d’abord, un constat. Et ce constat sera pour la grande majorité d’entre nous plutôt amer : on mène une vie de con ! Je l’entendais hier encore dans la bouche d’un auditeur de Jean-Jacques Bourdin.

Après avoir bien pris conscience que nous n’étions qu’un tas de merde, il faut intervenir. J’ai entendu un méditant avouer lors d’un colloque que la méditation était une pratique exigeante et qu’elle demandait de prendre une heure chaque jour. Or, qui d’entre nous peut aujourd’hui prétendre avoir une heure devant lui pour méditer ? Et bien ce mec manifestement. Je regrette d’avoir à me lancer ici dans une petite harangue féministe mais le mec en question était un mec, et, si j’en crois la rumeur, en tant que mec, sa charge mentale quotidienne est à peu près au niveau de la mer. D’ailleurs, avez-vous déjà remarqué qu’il n’y a que des hommes bonzes ? Vous voyez. Tout concorde. Aussi me suis-je fait cette réflexion : pour être heureux, encore faut-il en avoir les moyens (et les couilles, au sens strict du terme) ! Prenons l’exemple d’une brave personne : en tant que brave personne, elle a un travail, des enfants, un frigo à remplir, la révision du C4 à faire dans les deux semaines, un évier bouché, les chemises à aller chercher au pressing et encore ces foutus Mouchardin qui viennent dîner samedi. Où voulez-vous qu’elle colle une heure de méditation au milieu de tout ça ? Eh bien, j’ai très envie de vous dire où, mais je m’interdis toute vulgarité.

Je me fais cette réflexion aujourd’hui mais, il y a quelques mois de ça, j’étais convaincue. Et l’été dernier j’avais pris la ferme résolution d’arrêter de fumer, de faire du sport, de méditer. Comme je ne suis pas exactement une femme pondérée, je m’étais tout simplement fixé comme objectif de devenir le Dalaï-Lama. Fort malheureusement, mon premier mojito a eu raison de ma volonté et le projet est tombé à l’eau (enfin, pas tellement « à l’eau » SI VOUS AVEZ BIEN SUIVI). Je n’ai pas renoncé pour autant, soucieuse de répondre à l’injonction sociale qui s’affiche partout dans la presse : « PRENEZ SOIN DE VOUS ! ». Mais j’ai plus raisonnablement commencé petit, à ma hauteur, et il existe fort heureusement des activités plus accessibles que la lévitation et le mormonisme. Le yoga, très en vogue, fait merveilleusement l’affaire. Une heure de yoga par semaine nous offre la légitimité de pouvoir dire à notre entourage : « Moi perso, je fais du yoga tous les mardis soir après le boulot et mes 45 minutes de bouchon et franchement, ça fait un bien FOU ! Ça me ressource, je me sens tellement bien après ! Je ne peux vraiment pas m’en passer ». Et ça fonctionne plutôt bien : je l’applique moi-même et, croyez-le ou non, malgré ce genre de discours, j’ai encore un entourage.

Il est évident qu’un tel discours ne nous fera pas décrocher un Prix Nobel de la Paix.

Mais si le bien-être a un prix, celui de l’ennui et de la chronophagie, il souffre également à mes yeux de n’avoir aucun contradicteur. Personne pour grimper en tribune et haranguer les foules en vitupérant

*Voix d’André Malraux* :

« FUMEZ braves gens ! TWEETEZ en conduisant ! Le bien-être peut bien attendre que l’on soit monté au PARADIS ! »

*Applaudissements, la foule est hystérique, un héroïnomane carnivore s’évanouit, un geek s’immole par le feu sur son segway*.

Il est évident qu’un tel discours ne nous fera pas décrocher un Prix Nobel de la Paix. Cependant, ne trouvez-vous pas qu’aussi fous soient-ils, les climatosceptiques soient nécessaires à la poursuite du débat sur le réchauffement climatique ? Je prends peut-être un mauvais exemple. Mais vous comprenez l’idée. Les phénomènes de mode qui embarquent tout le monde dans leur sillage sans que personne ne leur oppose aucun contre-argument m’inquiètent. Et ici, je me retiens de reparler d’Hitler. Je SAIS que ralentir est bon pour la santé, que méditer augmente nos chances de mourir vieux et en bonne santé, que nos téléphones allumés sont néfastes pour nos relations sociales et notre créativité. Mais je ne sais pas ralentir. Je m’ennuie. Et je refuse qu’on me fasse culpabiliser parce que je n’aime pas me balader dans les champs de coquelicots le dimanche. Par-dessus tout, je n’apprécie pas les injonctions, même si ces dernières ne me veulent que du bien. « Mets ton cache nez ! Tu vas attraper la mort ! » me disais ma regrettée grand-mère. Pensez-vous réellement que j’aurais eu une vie sociale si je m’étais affublée d’un tel vêtement ? Aucune chance de pécho avec un cache-nez.

Donc, je ne dis pas que je suis CONTRE le bien-être, et je porte beaucoup d’affection à ses prosélytes comme j’en portais à ma grand-mère. Mais qu’on ne perde pas de vue que le bien-être est un investissement que tout le monde ne veut pas ou ne peut pas s’offrir. Evidemment que le Dalaï-Lama peut nous enjoindre à méditer 1h par jour ! Je doute que ce soit lui qui négocie les devis avec le plombier ou qui fasse les commandes sur Carrefour Drive. Alors cessez de nous harceler avec vos couvertures de magazine en papier recyclé !

Par contre, payer 9€50 un numéro de Flow pour décorer la table basse, ce n’est pas plus cher que deux photophores chez Ikea.

[1] Selon l’article 27 alinéa 9 du Code Civil, les médecins et les coiffeurs sont exemptés de la réactualisation régulière de la presse proposée aux clients/patients. Sans cette disposition, vous imaginez bien que tout le monde aurait oublié Ayrton Senna.

7 réflexions au sujet de « Le bien-être pour les nullos »

  1. Oui, le zen absolue est de marcher avec bienveillance, au lever du soleil, un IPhone éteint dans la poche de ses jeans en coton bio…
    Et un larfeuille lourd comme un bottin dans l’autre poche.
    Bonne chance pour vos tambouilles post ovalie.
    C’est bien d’élargir le champs de vos désanalyses.

  2. On dirait qu’ici on insulte pas les premiers auteur-es, je vais donc m’abstenir.

    Par contre j’ai lu jusqu’au bout, c’est déjà pas mal.

  3. Ne jouez pas sur les mots Mouchardin, on avait dit « rond » et Monsieur Salpingeot avait meme ajoute « rond comme une boule ».

  4. J’approuve ! léger et très accessible, c’est un article qui fait du bien là où les derniers concepts vendeurs ‘anesthésie générale du cerveau’ commence à faire légèrement c***r !!

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