Ce texte nous est proposé par Folle Fougère, dont c’est le premier article sur ce site. Soyez gentils avec elle dans les commentaires
(en vrai on n’a jamais de commentaires mais bon on sait jamais).
Quand j’ai entendu parler de GUY pour la première fois,je dois bien dire que j’ai levé un sourcil perplexe. Pas mal de choses me rebutaient. Je portais bien haut mes préjugés, je freinais du sabot : un acteur qui passe derrière la caméra, un « faux documentaire », et un héros qui me rappelait de bien sombres souvenirs. Le film trace en effet le portrait d’un personnage qui, bien malgré moi, est présent depuis toujours dans mon oreille, comme un vieil acouphène auquel je me serais habituée : le chanteur ringard.
Splendides quadragénaires, bondissants quinquagénaires, trépidants trentenaires, vous vous rappelez certainement de cette époque où France 2 s’appelait Antenne 2, où, l’après-midi à la télé, après le terrible combo Derrick/Un cas pour deux et juste avant Des chiffres et des lettres, était proposée au public inactif (= les vieux) une émission musicale appelée La chance aux chansons.
A l’heure du goûter et gardée par Mamie, l’enfant que j’étais cherchait de quelle chance il pouvait bien s’agir : pourquoi donner une chance à ces chansons ? Quelqu’un considérait-il que c’était une chance pour moi de les écouter ?
OOOOOOh je ne peux pas me vanter. Moi-même, je n’avais pas des goûts musicaux très sûrs avant mes 14 ans. Dans le désordre : Flashdance, Dorothée, Milli vanilli, La danse des canards, Joy Division, Tiffany, A-ha etc. Mais même une enfant aussi bienveillante que moi comprenait vite que ces artistes bizarres étaient :
- Sans talent et passé de mode, pas dans le vent.
- Démodé ridiculement vieillot ; ou de mauvaise qualité, de mauvais goût » (Petit Robert), ringards donc.
Néanmoins ma gratitude était grande pour celle qui me préparait avec amour du lait chaud au Nesquik et une tranche de pain accompagnée d’une barre de chocolat (dans le Sud-Ouest, nous appelions ça du « pain avec du chocolat ». Rien à fout’). Et je me taisais donc patiemment devant tous ces chanteurs et chanteuses d’un autre temps. Tous étaient monté des semaines avant dans leur grenier, avaient ressorti le plus joli costume ou la plus joli robe « de quand ils étaient jeunes », soufflé sur les quelques mites qui y avaient élu domicile, l’avaient essayé, et s’étaient souri devant la glace, heureux de ne pas avoir tant grossi que ça.
C’est que Pascal Sevran, le grand manitou de La chance aux chansons, les avait invités à venir sur le plateau pour donner leur plus beau play-back, devant la France entière des plus de 60 ans. L’instauration des quotas de chansons françaises n’allait pas tarder à arriver, et d’ailleurs Sevran en avait plus qu’assez de toute cette musique de sauvages, de ces chanteurs sans voix et sans texte, sans parler du wock’n’woll venu des Amériques ou – HORREUR SUPREME – de la techno qui osait franchir la Manche. Alors il faisait défiler devant nos yeux des Edith Piaf de pacotille et des Charles Trenet d’un seul succès.
Un peu plus tard, les invités ce diversifièrent, je reconnaissais certaines chansons et certains visages malgré les effets de la chirurgie esthétique naissante. Je menai une enquête exclusive auprès d’une femme qui avait connu les années 60. Je lui demandai, incrédule, comment elle avait bien pu écouter ces nullités de yéyés, lisses et sans âme. « Mais tu sais, me répondit ma mère, quand les yéyés sont arrivés, ça a été un vrai coup de jeune ! Sheila, Johnny… ils étaient jeunes, ils dansaient partout, ils nous ressemblaient. A la radio avant, y avait que des vieux, c’était sinistre avec leurs histoires déprimantes ».
Dans les années 60, internet n’en était qu’au stade du fax, les campagnes étaient pleines de gens, mais il y avait peu de magasins de disques. Les Beatles et les Stones n’étaient que de vagues noms pour nombre de compatriotes. Oui, quasiment tous les chanteurs français à succès des 60’s étaient assez oubliables, et ils furent oubliés. Comme leurs prédécesseurs. Sauf par Pascal Sevran et Michel Drucker qui leur redonnèrent, dans les années 1990/2000, quelques feux de la rampe. C’est ici que commence GUY.
Guy Jamet, le Guy d’Alex Lutz, est un mélange de tout ça. Car évidemment, tous ces chanteurs de variété ne sont pas tous bâtis sur le même modèle, ils ont leur tendance et leur courant. Les engagés qui crient la misère, les amoureux toujours éperdus. Il y a ceux qui ont essayé de se renouveler, parfois en suivant les modes. Ou ceux qui, n’ayant pas dévié de leur ligne obsolète, ont toujours eu leur petit succès mais on ne le savait pas. Ils ont continué leurs tours de chant, dans des salles plus ou moins obscures, dans des villes ou villages que personne ne connait, dans des supermarchés, des lotos ou même à l’Olympia pour les plus forts. Mais quel que soit l’absence de glamour, une foule enthousiaste se pressait à ces concerts. Des femmes et des hommes d’un certain âge offrant des fleurs à Franck Michaël, faisant tourner leur foulard devant Enrico Macias, s’arrachant des autographes de Michèle Torr, allumant des briquets pendant J’entends siffler le train de Richard Anthony.
Guy Jamet, le Guy d’Alex Lutz, c’est bien plus encore. C’est cette figure publique qui toujours arbore la même attitude souriante et crispée face au public et aux médias, mais qu’on imagine pas très reluisant derrière le masque de cire (du genre à coucher avec la fille de Françoise au premier rang, celle qui est jolie là), qui ne réussit à payer ses impôts que parce qu’il donne encore et toujours ses succès de 1971, celui dont on se moque ou qui nous fait de la peine, celui qui, à coup sûr, à une meilleure vie que toi, celui qui doit avoir plein d’enfants illégitimes, celui qui comme Jacques Delmas ne sort pas sans un litre de laque dans les cheveux, celui qui doit bien savoir qui il est : un ringard.
Ou sait-il vraiment qui il est ? A-t-il conscience de son ridicule ? Pourquoi ne tourne-t-il pas la page ?
GUY, c’est un putain de bon film. Un de mes dadas est de dire que le cinéma français ne se résume pas à Christian Clavier. Le ciné français a parfois de super bonnes idées et des gens de talent pour les réaliser : BINGO ici.
Mais vous hésitez…
« — Alex Lutz j’aime pas et les mecs qui passent de la télé au ciné… c’est bon quoi, c’est pourri à chaque coup !
— Je te jure, donne-lui une chance ! En plus le mec a un CV vachement plus élaboré et diversifié que Les Kaïra et Catherine et Liliane. Et puis tu passes ton temps à dire qu’en France, on ne peut pas changer de registre alors que si. Il suffit que plein de gens aillent voir le film.
— Ouais enfin les chansons ringardes et la variétoche avariée, je suis comme tout le monde : je déteste. Tu voudrais que je paie 10 € pour subir ça ?
— Non mais je te rassure : moi aussi je déteste. Je ne suis pas suffisamment sadique pour te dire d’y aller si c’était insupportable. Au contraire, le mec est vraiment fort pour recréer cet univers sans que ça te casse la tête.
— Non mais je m’en fous de ce mec en fait. Les histoires de célébrités, c’est un truc de richouss ou de quelques privilégiés vivant dans une cage dorée et moi, je suis marxiste-léniniste. Mon combat n’est pas là. »
— C’est sûrement une sorte d’autoportrait, une angoisse, peut-être, de cet artiste pour l’instant en vogue. C’est peut-être aussi notre portrait à tous, Il interroge toujours le regard que nous portons sur les gens et le monde sans jamais nous ennuyer ou faire la leçon. Et puis avec un peu de chance, nous serons vieux. Moi-même, je ne sais pas quand et comment c’est arrivé mais les serveurs me donnent du « Madame » depuis un moment déjà. Ah il est loin le temps où je me moquais de mes parents qui ne savaient pas utiliser le magnétoscope. Aujourd’hui, ma collègue sans cheveu blanc me dit où appuyer sur Facebook. Oui toi aussi tu seras vieux. Ne crois pas que tu as le temps, ça a déjà commencé.
— Mouais …
— Non mais c’est drôle aussi ! Ecoute, le personnage est hyper fort, tellement fouillé que tu as l’impression qu’il existe. Alex Lutz dans ce film, c’est de Niro dans le genre création de personnage. Je pèse mes mots. Et plus subtil encore ! Le film est vachement bien ficelé. Le mec retombe toujours sur ses pattes et nous surprend à chaque fois. Vas-y.
C’est trop long mais quand même :
Les conditions idéales pour regarder ce film :
Dans un cinéma, bande de rapias.
« Le ciné français a parfois de super bonnes idées » mais souvent avec un temps de retard. Le cultissime Spinal Tap de Rob Reiner a maintenant dépassé la quarantaine.