Chaque année, rituellement, je regarde la cérémonie des Césars enveloppée dans un plaid, l’estomac noué et une boîte de Xanax à portée de main. Chaque année, suivre cette soirée est pour moi un exercice vraiment très douloureux. Chaque année, je me demande pourquoi je m’inflige cette épreuve. Chaque. Putain. D’année.
Parterre de stars en habits de lumière, remises de récompenses, émotions saturées, DISCOURS, petits sketches venant rythmer la fiesta : tous les ingrédients sont réunis pour que la cérémonie des Césars génère du malaise pendant les 2 tiers de la soirée. Étudions d’un peu plus près la recette inratable que nous sert, chaque année, la Grande Famille du Ciném Français.
Le sketch qui tombe à plat
D’une manière générale, je trouve les maîtres de cérémonie plutôt bien choisis. Assez iconoclastes pour ne pas être trop chiants, mais suffisamment consensuels pour plaire à toutes les générations réunies devant le petit écran. Leur plus grande qualité, selon moi, est de savoir rebondir avec élégance et humour quand une de leurs vannes s’écrase comme une merde sur le tapis rouge, ce qui arrive au moins une fois dans la soirée. Edouard Baer, Valérie Lemercier, Antoine de Caunes ou encore Jérôme Commandeur (pour ne citer qu’eux) ont eu assez d’autodérision et de confiance en eux pour prendre leurs petits échecs à la légère. Le malaise fut donc évité.
CEPENDANT, la cérémonie des Césars, chaque année, oblige des personnes dont ce n’est parfois pas le métier à venir jouer des sketches qui sont 1) nuls 2) trop écrits 3) pas assez répétés 4) parfois les trois en même temps, créant ainsi un malaise tellement important que j’ai envie de m’arracher la peau. Le sketch nul qui ne fait rire personne, la consternation sur les visages des illustres spectateurs, le désespoir qu’on imagine être celui des interprètes de ce sinistre spectacle, me plongent dans un inconfort tel que je voudrais quitter mon corps et devenir un pied de lampe. Et reconnaissons que le sketch raté est quand même très fréquent. Il est à noter que, si le visage d’Isabelle Huppert lors d’un sketch reste impassible, cela ne veut absolument pas dire qu’il est raté. L’expression faciale de l’actrice est un très mauvais indicateur. Elle ne rit en aucune circonstance. Elle ne possède pas d’âme.
Le César remis à une superstar américaine
Sans doute pour se donner un peu plus de sex-appeal, pour rendre la cérémonie plus cosmopolite ou encore pour intéresser la presse étrangère, l’académie des Césars remet régulièrement une statuette à une personnalité étrangère. Cette astuce met une petite pointe d’exotisme dans une manifestation qui, sans cette initiative, paraîtrait bien repliée sur l’exception culturelle française.
CEPENDANT, depuis 2009 (mais ils ne sont pas les premiers), la France récompense chaque année des superstars hollywoodiennes comme si les Césars étaient retransmis sur CNN ou que la cérémonie intéressait quelqu’un outre-Atlantique. La présence de Sean Penn, de Kirk Douglas, de Kate Winslet ou encore de Dustin Hoffman dans l’assistance (pour ne citer qu’eux) nous fait à nous, spectateurs, l’effet de voir David Guetta à l’Assemblée nationale, ou Tintin au Congo. C’est tout simplement saugrenu. Et je doute que ces personnalités étrangères récompensées aient l’impression d’être complètement à leur place. Elles semblent surtout avoir manqué de temps pour se construire une solide excuse pour ne pas venir.
Les hommages
Puisqu’on parle d’hommage, sans que ce soit à proprement parler un gros malaise, la séquence « ils nous ont quitté cette année » provoque toujours chez moi un léger sentiment de culpabilité parce que je n’arrive pas à m’empêcher de faire (intérieurement) des commentaires nuls. Il n’y a pas 200 commentaires possibles. Globalement, ils tournent tous autour de :
- Ah tiens ! Il·elle n’est mort·e que cette année ? J’avais l’impression que ça faisait au moins 100 ans !
- Qui est cette personne ? Sûrement un·e monteur·euse.
- Doit-on vraiment applaudir cet homme décédé quand bien même il a été largement établi qu’il était un violeur ? (Nouveauté 2018)
- Doit-on vraiment applaudir des personnes parce qu’elles sont décédées ? (En général il y a d’ailleurs un silence bien gênant après le petit film-hommage)
- Comment font-ils pour recenser toutes les personnes décédées qui travaillaient dans le cinéma ? C’est impossible ! Ils en ont forcément oublié ! Des gens qui ne comptent pas à leurs yeux. C’est dégueulasse !
Jacques Audiard nous reçoit chez lui.
Le geste spontané
Quand on y songe, une cérémonie comme celle des Césars est quand même extrêmement écrite. Les personnes qui viennent remettre un prix, le maître de cérémonie et même les personnes récompensées ont toutes écrit, et le plus souvent répété, leur petit laïus. A froid, chez elles, en jogging, elles ont pris le temps de coucher sur le papier les quelques mots cohérents et pondérés qu’elles ont envie de dire lors de cette occasion si spéciale. Et c’est très sage de leur part de se préparer au mieux à vivre un moment que le trop plein d’émotion pourrait vite venir foutre en l’air.
CEPENDANT chaque année, la beauté du moment, l’excitation, l’abus d’alcool, la pression de passer en direct à la télévision poussent quelqu’un à se rendre coupable d’un geste spontané. Exactement comme cette personne (complètement imaginaire) qui s’est pris des 7/20 toute l’année en dissertation de français et qui s’était juré le jour du bac qu’elle prendrait le commentaire de texte pour espérer avoir un 10. Et qui prend la dissertation sur André « Fucking » Malraux. Et qui se tape 7. Comme annoncé. Mais je m’égare.
Quelle que soit la nature du geste spontané, il a le plus souvent vocation à être émouvant et 9 fois sur 10 il génère un malaise qui me fait changer de chaîne malgré les vociférations de mon entourage. Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois qu’un geste spontané gênant se produit, je me mets à la place de la personne coupable, je DEVIENS cette personne, et je me dis : « Wo Putain ! Elle va tellement regretter d’avoir fait ça Mathilde Seigner ! »
Il arrive toutefois que le geste spontané fasse mouche et soit très émouvant. Le plus souvent, ça arrive lors de la cérémonie des Oscars, lorsque le geste spontané a été préparé et répété pendant des semaines. Et ce sont ces grands moments télévisés qui poussent les artistes français à retenter chaque année de tels gestes, sans filet et sans entraînement.
Le discours émouvant
Comme le geste spontané, il arrive que le discours émouvant soit réussi et on se rappelle alors pourquoi on regarde les Césars chaque année. C’est justement pour avoir la chance d’être le témoin privilégié d’une expression sincère et juste de nobles émotions. Heureusement que certains de ces discours sont réussis et nous prennent aux tripes, sinon plus personne ne regarderait une cérémonie quelle qu’elle soit, jamais, en aucune circonstance. Et plus personne n’écrirait dans sa tête, en se brossant les dents, le discours de remerciement qu’il ou elle prononcerait en recevant la statuette.
CEPENDANT, comme le geste spontané, le discours émouvant reste le plus souvent un très gros générateur de malaise. Certaines personnes sont coutumières de ce type de discours et, dès qu’on annonce leur nom pour les inviter à venir sur scène, je me lève d’un bond pour aller pisser / fumer une clope / m’ouvrir une bière / commander des chaussures sur internet / repeindre mes volets (et quand il s’agit d’une jeune actrice, bouleversée par sa récompense, j’ai même le temps de faire tout ça). Pourquoi ce discours est-il gênant ? Parce qu’il est mièvre. Parce que la voix tremblante, les larmes, les suffocations de l’orateur·trice ne parviennent le plus souvent pas à combler le vide intersidéral des mots prononcés. « Écrivez vos textes et tenez-vous en au texte bon sang ! » a-t-on envie de leur crier. Mais nous sommes là, coincés sur notre canapé, repliés en position fœtale en attendant que la douleur disparaisse, comme PRIS EN OTAGE.
L’incident technique
L’incident technique peut être d’origine diverse. Il est parfois dû à l’audace ou à l’incompétence d’un grand couturier qui envoie une femme sur l’estrade comme on l’enverrait à l’échafaud, dans un accoutrement mettant en danger son intégrité physique et sa carrière. Il n’est donc pas rare qu’on aperçoive un bout de nichon ou une culotte lors d’une cérémonie des Césars. C’est encore l’incident qui m’embarrasse le moins parce qu’il n’est jamais désagréable de voir un bout de nichon (« Elle a eu combien d’enfants Laetitia Casta déjà ? Elle les a allaités non ? »).
CEPENDANT, d’autres incidents sont bien plus durs à regarder. Le cafouillage est très difficile à vivre pour tout le monde. Inversion des enveloppes, annonceur qui se trompe dans le nom du·de la gagnant·e, lapsus, bégaiement. C’est comme si, toutes les choses qui n’arrivaient jamais dans la vraie vie tenaient absolument à se produire précisément ce soir-là, au théâtre du Châtelet (ou à la salle Pleyel cette année). Et si j’étais parano, je penserais que je suis personnellement visée par ce prodigieux phénomène qui n’aurait pour seul objectif de me BOUSILLER.
Mais l’incident technique c’est aussi un père alcoolisé qui tient à pourrir le moment de gloire de sa fille qui vient d’être récompensée par l’Académie (et qui, elle, a fait l’effort de venir à jeun). C’est la chute d’un artiste ou d’un objet, des personnes qui veulent s’embrasser mais ne savent plus sur quelle joue on fait la bise en premier, tous ces petits malaises qui, comme la silhouette des gens, sont considérablement grossis par la caméra. Tous ces petits malaises qui me font me balancer d’avant en arrière en tenant mon ventre et en priant pour que quelqu’un dise quelque chose de drôle et de pertinent.
La liste de ces douloureux moments télévisuels n’est malheureusement pas exhaustive car, en plus d’être une épreuve, le visionnage de la cérémonie des Césars est également plein de SURPRISES. J’ai hâte de voir ce que me réserve cette édition 2018. Puisque, comme chaque année, je vais la regarder. Comme une connasse.
Non mais bon on sait pourquoi tu va regarder cette année : pour faire du contenu et attirer des annonceurs pour le site, mais putain les années précédentes ???
Les choux de Bruxelles je ré-essaie pas chaque année pour me souvenir de l’impression que ça fait…